« Une dynamique particulière s’est créée avec les compositeurs avec lesquels nous collaborons.
Nous aimons la musique nouvelle car elle est à construire, à modeler avec les compositeurs ; ce travail en commun n’est possible qu’avec des compositeurs vivants - rares sur l’échelle de l’histoire de la musique! »
Duo Interférences
Trois compositeurs ont retenu l’attention du duo interférences :
PHILIPPE RACINE
Flûtiste et compositeur suisse, Philippe Racine est un acteur éminent de la musique - notamment contemporaine - en Suisse, aussi bien en tant qu’interprète que compositeur. Une description de son langage est forcément réductrice ; mais la poésie et la profondeur de sa musique, ainsi que ses sonorités envoutantes ont éveillé chez le duo l’impatience de découvrir cette pièce à venir.
Écrire pour la flûte – l’instrument qui m’accompagne depuis plus de quarante ans (ouille, le temps qui passe !) – est à la fois simple et compliqué. C’est un peu comme écrire une lettre à une femme que l’on aime et connaît depuis très longtemps.
C’est simple, parce que l’on connaît l’autre par cœur, que l’on anticipe toutes ses réactions. Parce que l’on se comprend à demi mot et que l’on sait ce qui marche et ce qui ne marche pas. Le danger pourrait naître de la routine que l’on a à se côtoyer.
C’est compliqué parce qu’il y a le désir de renouveler les plaisirs et que ce n’est pas facile quand on se connaît si bien. Le danger pourrait naître de la volonté de faire de l’inédit à tout prix.
Rester surprenant sans devenir un étranger pour l’autre est cependant une gageure que j’accepte avec bonheur.
La dernière pièce que j’ai écrite pour flûte solo avec piano date de 1998. Je pense qu’il est temps de retenter une nouvelle aventure.
C’est grâce aux deux flûtistes Émilie Brisedou et Élodie Virot que je vais prendre goût à de nouvelles explorations flûtistiques. J’avoue ne pas savoir encore quelle aventure m’attend, car le travail ne commencera qu’en été 2014. Mais une chose est sûre : cela sera un travail sincère. Donc simple et compliqué…
Philippe Racine
RAPHAELE BISTON
Compositrice et flûtiste lyonnaise, sincère et discrète, Raphaëlle Biston se dévoile dans l’écriture et emmène ses auditeurs dans un monde sonore raffiné, où les couleurs instrumentales ou électroniques charment et émerveillent.
La flûte est mon instrument, celui par lequel a commencé mon apprentissage de musicienne, celui qui m’a permis de commencer à composer, par le biais de l’essai sans cesse remanié.
J’ai ensuite un peu mis de côté la flûte, pendant un temps, par nécessité de me placer du côté de l’écriture – et non plus de celui de l’interprète.
Puis la flûte a retrouvé sa place dans les musiques que j'écris, et peu à peu elle y joue même un rôle singulier (comme le « je » de l’écrivain peut-être), au point qu’il m’est apparu nécessaire d’écrire à nouveau, plus particulièrement, pour flûte.
La proposition de collaboration des deux flûtistes du Duo Interférences arrive donc à un moment idéal.
Elle recoupe, de plus, une préoccupation souvent présente dans la musique que j’écris : le thème du double, du reflet, de l’écho, de l’ombre.
Écrire donc pour un « je » qui serait simultanément « deux autres », voilà un enjeu très stimulant!
J’envisage une pièce pour deux flûtes, où la seconde flûtiste jouerait aussi la flûte alto, jouant sur l’égalité parfaite, ou sur le léger décalage entre les deux instruments.
Écrire à une voix dédoublée plutôt qu’à deux voix, ou pour une voix principale transformée, déformée par la deuxième (comme le ferait un effet électronique temps réel).
Hétérophonie, multiphonie redoublée, boucles irrégulières, mélismes imbriqués... pourraient être des points de départ de l’écriture.
Raphaèle Biston
BLAISE UBALDINI
Jeune compositeur français établi en Suisse, Blaise Ubaldini a suscité l’intérêt du duo interférences à la fois par la fraîcheur et la fougue de sa jeunesse, mais aussi par la sagesse qu’il dégage, imprégné et inspiré par les cultures extra-européennes qui le fascinent.
D’une grande sensibilité, sa musique respire l’écoute des autres et la générosité.
Kabîr est un poète mystique indien de la deuxième moitié du XVe siècle. Premier poète à composer son œuvre dans une langue vernaculaire et non en sanskrit, il est à la fois considéré comme le père de la littérature en langue hindi (langue officielle de l’Inde actuelle) mais aussi vénéré comme un saint par des millions d’hindous.
Son œuvre, uniquement orale, fût recueillie et retranscrite dans un dialecte du vieil hindi, compilée puis traduite au cours des siècles.
Au siècle dernier Ajit Kumar Chakravarty sélectionna puis traduit en anglais cent seize poèmes issus de la traduction bengalie d’un grand nombre d’entre eux par Kshiti Mohan Sen. Ceux-ci servirent de base à Rabindranath Tagore, qui proposa sa version anglaise de cent poèmes de Kabîr, dont une vingtaine furent traduits ensuite en français par André Gide.
L’histoire de cette œuvre traduite en échos prend des allures de quête mystique, où chaque interprétation constitue une étape nous éloignant de l’objet de la quête: la parole originelle du sage.
Je proposerai à travers une nouvelle œuvre pour deux flûtes de m’inscrire à son tour dans ce cycle d’interprétations, de réincarnations, en livrant une traduction « musicale » de l’œuvre de Gîde, constituant à la fois une quête de l’élément originel à jamais perdu (la parole de Kabîr) et un voile supplémentaire venant troubler davantage la compréhension de cette parole.
Blaise Ubaldini